{ ensoleillé }
car Matthias semble avoir été sculpté dans un tournesol ; toujours tourné vers le soleil, en quête de chaleur et de lumière ;
c'est tendrement incandescent quand il approche, des rires aériens aux sourires illuminés, un peu maladroit dans ses gestes, un peu hésitant, c'est que de loin il avait l'air si confiant,
parce que c'est généralement de loin qu'on préfère regarder les enfants astres.
C'est un destin un peu cruel la vie de fragment solaire, c'est ici que sa tragédie repose endormie ; et il redouble d'efforts pour se faire une place, qu'on l'intègre quelque part, sans voir à quel point il en fait trop.
C'est inquiétant cette énergie qu'il a, ça déborde par tous les côtés, on a peur de le voir s'y noyer un jour. Jamais il ne manque un cours, jamais il ne sèche ses clubs ; et c'est terrifiant de le voir s'investir autant au-delà de sa propre personne, d'aider pour les devoirs, de guider les nouveaux, d'être le chouchou des professeurs.
Mais Matthias, il est dans un autre monde, et c'est pour ça, qu'il est aussi seul.
Il a cet optimisme qui dérange, ça met mal à l'aise ses mots de réconfort, cette obstination à croire que le malheur est temporaire ; on suffoque vite devant son aveuglement, devant ses croyances absurdes, ses questions ingénues. On a envie de le prendre par les épaules, de le secouer un peu, de lui ouvrir l'esprit, mais à quoi bon le forcer à voir la douleur et la misère ;
matthias et ses oeillères
il est aussi attachant qu'agaçant mattias
matthias et son morceau de soleil coincé entre les dents.
{ inatteignable }
car on l'a sculpté ainsi dans sa chair et son âme, qu'il hurle l'idéal qu'on a cousu dans son sillage.
s'il est si difficile de s'approcher, c'est parce qu'avant d'être lui, Matthias c'est sutout une rumeur ; et derrière lui se sèment les graines de l'envie.
Elle se court dans les couloirs de temps à autre lorsqu'il passe, en salle de classe lorsqu'il lève la main, aux évènements sportifs où il excelle, aux concertos qu'il donne. Elle se propage dans les rangs comme une légende innocente, celle qu'on alimente à l'école, de cet élève astre qu'on aimerait atteindre, toucher du bout du doigt, Icare en devenir.
Pendus à ses lèvres on espère l'entendre dire du bien, on attend une infinité de choses qui viendront corrober les histoires qu'on lui invente ;
est-ce qu'il a une petite amie ? ;
il a eu combien aux derniers examens ? ;
tu l'as vu jouer du piano ? ;
et sa dernière course ? ;
tu crois qu'on peut lui demander de nous aider à réviser ?et c'est un sinistre tableau ces gens qui arrivent à le connaître sans le connaître, il est pris de quelques vertiges quand les élèves viennent lui parler en rougissant, lui demander des conseils, lui poser des questions. Matthias, il a une multitude de camarades de classe, des gens qu'ils voient tous les jours depuis sept ans, des gens à qui il parle sans rougir, avec qui il rit de bon coeur,
et aucun véritable ami.
Parce qu'il est incapable d'être lui-même, qu'il a cette responsabilité devant les rumeurs, devant les attentes, devant ses parents qui l'attendent dehors avec son bulletin impeccable ; parce qu'un enfant prodige ça se doit de faire ce pour quoi il est doué, ce pour quoi il est destiné, de rentrer dans la case qu'on lui a gentiment attribué,
et y'a tous ces gens auxquels il essaie de se lier, tous ces groupes qu'il essaie d'intégrer ; mais comment les gens pourraient-ils aimer ce qui n'existe pas ?
qu'on le jalouse ou qu'on l'admire matthias n'est, au fond, que ce qu'on veut bien dire de lui.
{ éteint }
et plus rien ne le mène au sommet, si ce n'est la force de l'habitude. Prisonnier de cet engrenage fou qu'il alimente malgré lui, calciné par les attentes, rongé par les regards, ravagé par ses mensonges ; ses ambitions et sa détermination ont quitté son corps depuis trop longtemps pour croire que son coeur est encore aux commandes.
Ecrasé sous sa parrure doré, Matthias étouffe, il arrache ses boucles blondes et s'étripe de chagrin, noyé dans sa jalousie de ceux qui arrivent à aimer, à désirer, à rêver, sans jamais rien prétendre.
car il est tout ce qu'il rêve de ne pas être ;
car matthias n'est qu'une image superficielle de ce qu'on attend de lui, de ce qu'on veut qu'il soit, de ce rôle de petit prodige qu'on lui a soudé au corps sans lui offrir de choix ; et aujourd'hui, Matthias sait tout ce qu'il excecre, et rien de ce qu'il aime.
Il hait le violon, il hait l'athlétisme, il hait les jeux d'échec, il hait les rumeurs, il hait les maths, il hait les devoirs, il hait la lecture, il hait avec violence tout ce qui le définit dans ses moindre détails ; et il hait encore plus l'idée que tout ça disparaisse.
Et peut-être, un jour, il haïra l'académie qui l'a forgé.
Et peut-être, un jour, il haïra ses parents qui l'y ont mis.
En attendant, Matthias reste transi d'horreur devant son image qui manque de s'effondrer à chaque instant ; son âme se déchire entre baisser les bras et continuer la comédie
jusqu'à la fin.
Et en silence Matthias s'éteint, les mains sur le ventre, les entrailles consummées par le feu de sa détresse.